Anton et l'air - pièces courtes d'Anton Tchekhov par la Madrid Biscuit Compagnie
Dans ses pièces en un acte, souvent des transcriptions pour la scène de ses nouvelles, Tchekhov ausculte avec une grande acuité l’âme humaine, pour y traquer la grandeur et la petitesse de nos comportements. Celles-ci ne sont pas des pièces courtes mais de précieuses miniatures, où tout ce qu’il développera dans ses « grandes pièces » est condensé, avec une très subtile précision. La grande habileté de ce dramaturge essentiel, est d’y construire des situations dans lesquelles il plonge ses personnages pour que surgissent les petites faiblesses, les grandes lâchetés, mais également la folle audace et le courage héroïque.
Dans L’ours, une jeune veuve s’oppose à un homme venu lui réclamé une dette contractée par son défunt époux : leur confrontation n’est qu’un prétexte pour essayer d’échapper à la violence du désir qui les taraude.
Dans Le jubilé, le directeur d’une banque fait face à l’assaut de forces – son secrétaire irascible, son épouse volubile, et une intruse opiniâtre – qui l’entraînent vers le chaos, le jour même où l’on s’apprête à le glorifier.
Ces deux petites pièces semblent à priori être, et étaient considérées par Tchekhov, comme des fantaisies, des récréations. L’auteur les qualifie de « petits vaudevilles écrits en un rien de temps, pour se délasser ».
Et pourtant, son sens prodigieux de la scène en font des mécaniques comiques au service d’un propos qui traque les traits d’une humanité aussi bien médiocre que valeureuse. Ces deux œuvres mettent en scène le tragique de l’existence humaine, les âmes déchirées, les souffrances cachées ou avouées. L’élégance de Tchékhov réside alors dans une mise à distance ironique : des larmes aux rires, des rires aux larmes… la fameuse « âme russe ». N’en retrouverions nous pas la trace dans le répertoire contemporain populaire ? Par un mariage inattendu entre ces auteurs habités par cette célèbre « âme russe », nous choisissons de faire résonner la tragi-comédie de la vie sous une forme théâtrale propice à mettre à distance les affres des relations humaines oscillantes entre désir et impertinence : par le chant, s’expriment alors les résonances entre deux univers qui sembleraient à priori éloignés, mais qui étrangement s’épousent malicieusement.
Le dispositif scénique privilégiera la participation active du public grâce à des interactions consenties, stimulées entre les personnages incarnés et les spectateurs. Par ce processus, nous visons une joyeuse catharsis, que le spectateur éprouvera devant le spectacle des passions humaines mises en scène, une jubilation réconfortante face à l’expiation des souffrances partagées.
« Anton et l’air » est le 3e opus de la Madrid Biscuit Compagnie qui poursuit son exploration des textes du répertoire théâtral en leur cherchant un éclairage contemporain, tout en affinant son rapport au public.
Bernard Vercier.